Shuhrat vient de sortir du wagon, il me reste quatre stations, c’est le moment tant caressé d’ouvrir, ce livre dont la lecture m’impatiente.
J’ai emprunté pour le week-end, « le langage des oiseaux » , du grand poète et maître soufi, Farîd Ud-Dîn’Attar.
Il s’agit d’un conte initiatique, retraçant le périple d’un groupe d‘oiseaux de toutes les espèces, dont chacune symbolise un caractère humain.
L’objet de leur quête est de rencontrer l’oiseau Simorg, allégorie de Dieu, et d’en faire leur roi. Dans cette mission, ils sont guidés par la huppe, qui incarne dans le Coran, la messagère d’amour.
Le métro est bruyant, et j’ai peine à concentrer mon attention; je commence à lire à haute voix pour que les mots m’absorbent à eux, et Dieu merci, leur musique n’est pas lente à y parvenir.
Assit non loin de moi, un vieux monsieur, à la mine encore gaillarde, s’amuse de mes intonations.
Sa moustache est à l’instar de ses cheveux, blanche, et duveteuse comme le plumage d’une oie.
Pour le moment, il m’adresse un sourire, auquel je réponds poliment, sans détacher les yeux de ma lecture, je sais qu’à un moment ou un autre, il va m’aborder.
Le seul temps d’y songer, qu’en un coups de hanche, il a gagné trois place sur la banquette, et je sent désormais, son haleine chargée de tabac qu’il expire d’un souffle bruyant.
Ses premiers mots en russe, je ne les comprend pas, ni d’ailleurs ceux qui suivent. J'en pêche de ci de là, quelques bribes, que j’agence comme je peux pour en former une phrase.
Je comprend qu’il a vécu en Allemagne et qu’il en a profité pour faire escale dans la ville de Dijon.
Beruni bekati ( station de Beruni, mon nouveau quartier) Je descend, suivi de mon récent
compagnon.
Peu familier de ce quartier, je lui demande de m’indiquer le chemin vers mon nouveau domicile, qui est à la proximité du collège polytechnique. Il se propose de m’accompagner, ce que j'acepte bien volontier.
La conversation s’amorce sur la littérature, et de nos seuls gestes appuyés par de grands et joyeux ah ! ou oh ! exclamatifs, nous nous investissons critiques littéraires.
C’est mon ami Tolstoy qui est le plus choyé, d’une main que j’élève du plus haut que je puisse, je le couronne roi de la littérature; mon interlocuteur n’en disconvient pas. Puis il est question de musique classique et de jazz; Chopin vaut tout nos Ah! Et Armstrong n‘est pas en reste de nos Oh! Il commence à me plaire ce petit vieux!
Ravis de nos goûts communs, nous égarons la discussion sur d’autres chemins;
Il me parle de sa vie: c’est un colonel, à la retraite, un ancien de l’armée soviétique. Il a longtemps vécu en Allemagne, et s’est passionné pour la deuxième guerre mondiale.
Et de musique il est encore question. La musique française, il l’a connaît et l’aime beaucoup : Piaf a ses faveurs, mais il ne sait rien de Ferré;
Puis on en vient à la musique arabe, je m’attend à ce qu’il me fasse l’éloge de la princesse Feyrouz, mais ce n’est pas tout à fait ce scénario qui prend forme.
D’une moue de dégoût, il me répond que la musique arabe, et même les arabes en général ce ne sont pas sa tasse de thé.
- « Je suis ouzbek » qu’il me déclare, mais je suis antisémite et par-dessus tout, je déteste les musulmans. »
Mince! Où est passé le petit vieux qui aimait Tolstoy et me mimait sur un piano imaginaire une fugue de Chopin?
Il reprend son propos, dans les abysses d'où il l’avait laissé, et le conclu par un cris triomphant:
« White Power !»
Moi d’une bouche de plus en plus molle, je ne sais que répondre, mais je lui pose quand même cette question :
- « Tu me disais que tu aimais Armstrong et Ella Fitzgerald, pourtant, je ne crois pas qu’ils fussent jamais blancs ! »
- « Oui mais les Etats-Unis, ce sont un grand pays! »
- « Da !! » je ne vais pas le contredire à ce sujet, c'est vrai que ce pays est vaste!
Un réverbère nous arrose d’une lumière orangée, et son corps jailli de la pénombre.
Il n’est pas grand, et son visage encore animé par la discussion, n’enlève rien à la sereine douceur qui se dégage de ses traits.
Je le regarde dans les yeux et avant de nous séparer - je viens d‘arriver chez moi- je pose une de mes mains sur son épaule et l’autre sur son coeur en lui disant:
« Tu sais mon frère ( Brat, en russe), pour moi les juifs, les musulmans, les noirs, les antisémites et tout les autres… ce sont la même famille d’êtres humains, Et je les aime comme toi aussi je t’aime. En russe, la phrase est plus sinueuse, mais il la comprend et répond:
« Bah pour moi, Non !»
Nous nous sourions, et d’une poignée de main amicale, nous prenons congé l’un de l’autre et de notre conversation.
Les quelques derniers pas dans cette nuit plus fraîche qu’à l’accoutumée, me font méditer la phrase que je viens de prononcer. Je me questionne sur sa valeur dans ma bouche: Suis-je vraiment à la hauteur de mes propos ? L’amour que je vante, est loin de m’animer chaque jour, alors comment puis-je prétendre parler en son nom ?!
La porte de l’appartement s’ouvre sur cette dernière réflexion et déjà mon corps est jeté sur le lit, et mes yeux las sur mon livre.
‘Attar, qu'à tu à répondre à cette question ?!
photos de Shanghai en vrac!
Il y a 17 ans
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