samedi 9 août 2008

Fumons l’opium des peuples !

« Bismillah al rahman al rahim… »Tapis bleu marine, au sol, jeans ajustés aux chevilles, un homme commence la troisième prière du jour, celle d’al Asr.
Les paumes soudées par leur flancs, mimant un livre ouvert, il courbe son dos, s’agenouille. Sa face vient baiser le tapis, une fois…une autre.
Le rituel se répète : de nouveau agenouillé, il se relève, se recourbe, les paumes dans la même posture, puis s’en va, laissant son tapis au sol.

Un autre type vient y coller ses genoux; accompagné cette fois-ci pas quatre camarades.
« Bismillah al Rahma… » la prière reprend court, mais moins audiblement car un rugissement vient de retentir !

« Partakor, Partakor » , « Bunyodkor, Bunyodkor» , le stade s’embrase, se colore. Une poche jaune, une immense marée bleue, puis encore du jaune dans les virages.
Je suis au sommet de la plus haute tribune, assis sur une feuille de papier journal, à un rang où il n’y a plus de siège. C’est le derby de Tachkent?

Le Bunyodkor qui s’appelait très récemment encore, Kuruchi, jeune club, connu chez nous, pour avoir prétendu qu’il s’était offert les services d’Eto’o, affronte le club presque quinquagénaire du Partakor.

Un guide touristique, spécialisé dans les groupes italiens, près de moi, m’interpelle :

- « C’est Bunyodkoré qui va gagner hein ! C’est la milleur squadra ! »
- « Ah oui ? » ma réponse est évasive.
- « Ma si , c’est la milleur! »

Derrière nous, tournés vers la Mecque, face à l’épaisse plaque de taule qui ferme la tribune, d’autres supporters, genoux fléchis, marmonnent consciencieusement la fin de leur prière.
Le soleil décline, jetant ses dernières lueurs sur la piste safran qui borde le stade à la pelouse verte pomme. La chaleur suffocante, mouille nos fronts de sueur.

Une clameur vient de monter des tribunes basses pour remplir le stade. Un coup de sifflet, une passe, le match est lancé.

Quelques secondes à peine et déjà un joueur est au sol. La partie est chaotique. Entre le rugby pour la rudesse des chocs, et la gymnastique pour l’esthétisme de leurs pirouettes, les joueurs donnent un spectacle déroutant!

- « Cilui là, c’est le milleur, il gagne 15 000 dollarrr par mois »!

Il est fauché au sol, par un tacle boucher. La foule déchaînée hurle « arrêtez le match! Bunyodkor joue à 11 contre 12 ! Sudié Pederaste, Sudié Pederaste… Le pauvre arbitre (sudié en russe) est hué, insulté, et nul besoin de traduire l’insulte.

Devant moi, un flic est assis en uniforme. Un flic ? Non, c‘est une nuée de képis !
Ici on les appelle les concombres, car ils sont tout vert, et que la forme phallique de ce légume n’évoque rien de très intelligent. Allez les verts ! C’est la troisième équipe, ils doivent être plus de 500 dans le stade.

De nouveau, des pieds me frôlent, des tapis sur le sol, s’étalent. C’est la prière de Maghrib qui appelle les fidèles, tandis que sur le terrain, l’arbitre sonne la fin de la première messe.
Le deuxième temps de jeu n’a rien de trépidant. Nez, en l’air, béatement, je m’amuse des loopings des papillons de nuits qui s’ébattent dans les stries de lumières artificielles.
Le Partakor égalise. 1-1, les jaunes exultent! Partakor! Partakor! Auxquels répondent les échos adverses : Sudié Pederaste, Sudié Pederaste… un déçu lance son siège comme il l’aurait fait d’un frisbee.
La lune est joliment rousse ce soir, et la chaleur maintenant désépaissie, est traversée par une brise câline.

Enfin, le sifflet de l’arbitre nous délivre. En demie liesse, nous regagnons la rue.
Le score, contente tout le monde. Deux prières, deux buts, c’est un bon équilibre!

Mais que réclamaient ces prières ? La victoire du Partakor? Celle du Bunyodkor?
Un croyant généreux désirait-il la concorde des supporters ?
En tout cas, pour Laporta, l’entraîneur du FC Barcelone, invité d’honneur de ce match, peu honorable, il n’était pas ardu de deviner le sens de sa prière, le coup de sifflet final, l’a exhaussé !

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