Jadis, en un lieu que le secret tient jalousement conservé, deux royaumes coexistaient, respectueux de leur bon voisinage; les conteurs disent que leurs rois étaient frères.
Des deux sociétés, l’une était rebelle mais l’autre jamais ne frémissait.
Émeutes et avanies, tel était le quotidien du plus malheureux des rois.
Vient un jour, où n’en pouvant plus, il foula son orgueil, et seul, au cours d’une nuit très noire, pour qu’on ne le vit point, il scella son cheval et quitta le royaume.
Il alla voir son frère, sans qu’aucun messager ne le devança. Parvenu à la cour, il fit requête :
- « Portiers, Je viens voir mon frère »
Incrédule, un des portiers l’interrogea:
- « Veux tu nous faire croire, que le propre frère du roi, lui-même preux régisseur, viendrait tel un errant, demandé audience? »
Au mot preux, le roi frissonna. Il n’était pas d’âme à se courroucer, et honteux il insista:
- « Je suis bien le roi, brave portier, si tu ne me crois pas que mon nom soit damné! »
L’autre portier, qui depuis les premiers instants tremblaient d’une belle crainte, pris la parole; tout ses pauvres membres tressaillaient:
- « Mon ami, le roi dit vrai, je le reconnais, sa voix ne ment pas, elle m‘est familière.
Et s’adressant au roi, il se confondit d’excuses, lui priant de ne garder aucune rancune pour la maladresse de son jeune ami.
- "Ne t’en fait pas brave portier, ton ami et pardonné, mais empresse toi de réveiller ton maître, j’ai à lui parler de frère à frère."
On le fit pénétrer le palais. Son frère loin de s’ébattre avec Morphée, était le séant sur le trône, un livre ouvert sur ses genoux; le souvenir d’un songe flottait sur son visage.
À la vue de son cadet, il s’assis plus convenablement, époussetant son lourd habit pourpre que le livre ancien avait tâché.
Sans prendre la parole, il l’invita de la paume à prendre place à ses côtés.
Le cœur du jeune roi cognait si fort contre sa poitrine, qu’il cru défaillir, et plutôt que de s’asseoir, il se jeta agenouillé, devant son aîné.
Sur son visage, les larmes, prenaient les rigoles de ses joues, qu’elles creusaient plus encore et sa peau déjà pâle devenait livide.
Ses mots mêlés aux sanglots et aux râles, sortaient de sa bouche par blocs inaudibles:
- « Mon frère, je n’en puis plus; mon royaume me désavoue, chaque jour m’accueille sous les huées des foules, massées sous mes fenêtres. En conseil des ministres mon propre vizir, me malmène au su de tous.
Je n’en dors plus et vis sans appétit; me crois tu, si je dis que plusieurs fois j’ai manqué me pendre?
Aide moi, à la fin ! C’est un cris de nécessité et de dernière espérance !"
L’autre roi, pendant l’aveux, n’a pas cillé, seule sa poitrine s’est gonflée au rythme de sa respiration poussive,
Il regarde son frère qui lui quémande des yeux, un dernier espoir; les mots n’ont toujours pas passé la frontière de ses lèvres. Il se lève, le trône grince; il n’est pas mince, ce roi!
Il s’avance, baise le front fraternel, et lui prend la main.
- « Suis moi! », dit il enfin.
La nuit est déjà bien entamée, le mauve succède au noir; les pas chassent les heures, et les heures les pas; la ville n’a bientôt plus de rues à offrir, c’est maintenant la tourbe des chemins de campagne, qui accueille leurs semelles.
Déjà le soleil rougeoie et réveil le coq, qui à son tour réveille les endormis.
C’est dans cette belle peinture, toute colorée des premiers pigments du jours , que l’aîné décide de freiner le pas; les deux frères sont dans un champ d’orges.
Il prend alors une grande inspiration grésillante, et rompt le jeune du silence:
- « Vois tu ce champ, mon frère? »
Il lui répond de la tête.
- «… c’est l’allégorie de ma société! »
Regard médusé
- « Regarde bien tout est net, toutes les plantes poussent de concert, nulle ne prend l’ascendant sur l’autre ».
Le jeune roi, y jette un œil plus intéressé; il se courbe vers la terre et constate avec approbation les dits de son frère. Mais en y regardant de plus près, il s’aperçoit qu’un épis est plus haut que les autres.
- « Celui là n’est pas réglementaire, ton champ n’est pas tout à fait net, dit il amusé! »
En échos à son rire, son frère lui répond:
- « c’est justement cette leçon, que je souhaitais t’instruire »
L’acte suit le mot, le dos courbé vers l’épis orgueilleux, deux de ses doigts l’agrippe, et l’ôtent de la terre.
Il se redresse et sa voix retenti :
« Toutes les têtes qui dépassent, coupe les! Toutes, dis-je, c’est ainsi que tu te feras respecter! »
Le silence saisit l’assemblée, Khoudaï Koul vient de conclure son histoire; les rois ont disparu et nos ombres ré émergent.
Il nous laisse reprendre nos esprits, mais avant que chacun regagne son occupation
Il lance d’un souffle chargé de regrets:
- « À l’époque de l’Union Soviétique, nulle tête n’était plus haute qu’une autre!
À cette époque, c’était la paix! »