vendredi 19 septembre 2008

Ruben m’a tué

- « Ma femme me demande quand vous venez et je ne sais pas quoi répondre! »

C’est tous les jours la même rengaine. Je me rend à l’hôtel Ouzbékistan, pour accéder à l’Internet et je rencontre ce petit bonhomme à la poigne sèche et au crâne poli. Ruben, c’est le nom de cet arménien presque sexagénaire, taxi à ses heures, et chauffeur d’une japonaise friquée.
Ruben n’est pas grand mais dans son regard en sent comme une emprise car sa taille n’hôte rien à son charisme. Sa voix est mâle et assurée mais surtout, il fait partie de cette engeance d’homme qui ne biaise pas; chaque mot à sa place et on en reste là.

Je viens de rentrer de mon voyage, je n’habite plus à l’autre bout de la ville, et me voilà démuni de prétexte pour repousser son invitation.
Nous sommes le mercredi matin, il me salue et me chante son refrain; je n’ai pas le temps de réfléchir que ma lassitude répond « très bien, je viens demain ! »
Son visage est resté figé mais j’ai aperçu une émotion fugace traverser son regard. Il me tend sa main à laquelle je me pique tant elle est sèche.

Je pénètre l’hôtel, et m’assoies là où mon habitude me commande. L’ordinateur est sorti, le fil y est machinalement raccordé, mais une pensée me taraude :
Pourquoi sa femme veut elle me rencontrer, et me répète-il cela chaque jour? Nous ne nous connaissons que de trois regards et de trois mots! Ma perplexité prend le masque de l’angoisse tandis que mon imagination pousse du coude le semblant qu’il me restait de raison.

À part moi, je m’écrie : « Non mais c’est un détraqué, à n’en point douter, il a quelque chose de pervers dans le regard, et cette voix si sûre d’elle qui se veut séduisante, que ne cache-t-elle son jeu ? Que me veut il ? A-t-il vraiment une femme? Et si tout ceci était un traquenard? Non c’est certain, c’est un tueur ou au moins un violeur ou pire …
Mon imagination reste arrêtée sur ce « pire », peinant à lui trouver une réalité.
Et ça recommence, l’angoisse s’étoffe à la cadence effrénée des questions :

Il va me tuer ? Il va peut être m’égorge d’abord ? Ou bien m’éventrer ? Et si je n’y allais pas ? Et comment faire? Je n’ai qu’à lui dire toute ma pensée ! Je fais cela d’habitude, le franc parler, la franche pensée! Et si j’y allais avec Shurhat ? Ou bien sinon j’achète un couteau ? Bon je vais aller lui parler, mais que dire ?
Je n‘avais même pas pris conscience de m’être levé, et ce « que dire » n’a pas le temps d’être creusé que je me retrouve déjà face à lui, et glapis d’un seul souffle :
« Je ne vous connais pas, pourquoi votre femme veut elle me rencontrer? Et d’ailleurs regarder vos mains… »
Mince me voilà pris au piège du quiproquo ! Il avance ses mains comme s’il m’en faisait l’aumône, exhibant à ma vue ses bouts de chair rongés et jaunis qui jadis devaient être ses doigts. Malgré ce spectacle peu plaisant, je ne lui laisse pas le temps d’avancer son explication, et lui crie pour me disculper:

- « Mais non je parle de votre alliance! Où est elle ? Vous dites que vous êtes marié, mais moi je ne vous connais pas! Pourquoi insistez vous depuis un mois ? Je sais que l’Ouzbékistan est un pays hospitalier et que les arméniens le sont tout autant, mais tout de même nous ne nous connaissons d’aucune façon… On n’en était qu’au hors d’œuvre et je m’apprêtais à servir un plat copieux, mais il me coupe d’abord avec un sourire et voilà qu’il recommence avec cette voix précise et tonnante comme une basse:

- « Je laisse mon alliance à la maison. Ma femme veut vous rencontrer car elle aime cuisiner et que je lui ai dit que vous étiez un jeune homme très convenable..

- « mais vous ne me connaissez pas! »

- « …. Vous êtes français et l’Arménie doit beaucoup à la France, quand je rencontre un de vos compatriotes, je l’invite chez moi pour lui présenter ma famille et lui faire goûter mon vin. Et d’ailleurs, j’ai parlé de vous à ma nièce Carolina qui a votre âge et aimerait beaucoup vous rencontrer. »

- « Très bien, je viendrais, mais à la condition que votre nièce nous accompagne sur le chemin. »

- « A demain 17 heures, devant l’hôtel alors ! »
Il me tend sa main et esquisse un sourire comme s’il honorait la brièveté, je m’y pique encore et ma conscience en fait de même sur les épines amères de sa pensée. Je reste avec mes doutes, mais mon stratagème est astucieux, il devra venir avec cette jeune fille et aura donc les mains liées.
Quoique ! Et me voilà reparti dans ce monologue absurde qui se résume à cette idée : « et si elle était sa complice, ou bien peut être est- ce une prostituée payée pour l’occasion! »

Le théâtre et l’ivresse égaie la fin de ma soirée et je m’endors l’esprit oublieux.
La lumière du nouveau jour traverse mes paupières, quand m’asseyant brusquement sur le matelas je me ressaisi : C’est le jour J !
Je suis seul dans l’appartement, abandonné aux tiraillements de ces idées folles, les mêmes que la veille.
Le jour passe mais plus lentement. Chaque heure et bien pleine de soixante minutes et dans chacune d’elle on peut compter tout aussi nettement trois fois vingt secondes.
Mais bon comme le temps n’est pas figé, les heures avancent tout de même et les cinq coups de l’après midi résonnent enfin dans ma tête, comme si j‘avais l’oreille collée à un carillon !

17h 01, 17h 02, 17h 03, 17h 04, je suis assis sur le muret froid de marbre rouge qui fait partie de l’escalier en bas de l'hôtel. À côté de moi, un garçon de mon âge attend lui aussi. Il à une jambe posée sur l’autre et joue anxieusement avec sa cheville, tournant souvent sa tête brusquement contre son épaule gauche.
Je le regarde faire, et note chacun de ses gestes dans mon carnet; quand j’entend derrière moi qu’on m’interpelle.
Mon corps s’engourdit et j’ai peine à tourner ma tête vers la voix, j’y parviens tout de même, et aperçois près d’une berline noire, mon tueur chauve , le sourire aux lèvres presque en délectation. « Tout va fonctionner aisément », doit il se dire à cet instant.

Je garde mon stylo dans la main et en tâte la mine qui est assez pointue pour se planter dans son cou ou bien l’éborgner s’il tente la moindre finauderie. Je cache l’arme subtilement entre le majeur et la paume de ma main gauche tandis que la droite s’effrite à la sècheresse jaune de la sienne. Il m’ouvre la portière. Le jeune homme qui est à l’avant de la voiture, ne répond pas à mon salut et se lève sans mot dire, en encaissant de Ruben une petite liasse de billets de 1000 soums. C’est sûrement un complice!
Mes pensées paraissent et s’effacent dans un manège si rapide que ma raison s’esquive, laissant mon imagination maîtresse de mes émotions.
Ruben vient de s’installer à la place du chauffeur, il téléphone à sa nièce sans doute, mais elle ne répond pas; à force de persister, il parvient à la joindre et j’entend une voix féminine à laquelle il répond froidement.

Il se tourne vers moi, et me dit « Carolina est encore au travail, elle nous rejoindra à la maison ».
L’orgueil me fait réagir, j’ai la mine qui pique ma paume et je dis sans hésiter : « Partons maintenant alors ! » Il m’invite à monter à l’avant et démarre le contact.
Il habite à 8 km au Nord est de la ville. Sur le chemin il me décrit les gens qui se trouveront à cette soirée. Il y’aura sa femme, la sœur de celle-ci et Carolina sa nièce et donc fille de sa belle sœur. Les 8 km passent très rapidement, et nous arrivons bientôt dans un lotissement de petits immeubles. Il me désigne son garage et arrête la voiture pour aller l’ouvrir. Je respire profondément et m’assure que la mine est vraiment pointue.
Il sort et enlève deux trois feuilles qui se trouvent devant la porte.
C’est un maniaque! Les pensées me reviennent. Je regarde s’il n’y a pas un badaud qui pourrait me secourir mais il n’y a pas un chat dans les parages, enfin si, il n’y a que des chats ! Ah mais une voiture s’approche, je suis sauvé! Ruben vient d’ouvrir son garage, et regarde la voiture qui vient d’arriver. Il doit être découragé, me dis-je, mais il dit avec l’humeur gaie que cet individu s’est trompé de chemin, et en effet la voiture fait demie tour et disparaît.

Le rythme de mon cœur s’accélère quand il me demande, en ouvrant la porte d’un grincement d’acier, si je veux voir son « ga ra ge » Quel plaisir dans sa voix, il a semblé glousser !
Les deux portes sont maintenant complètement ouverte ! Il prend un balai- ça doit être sa marotte- et le frotte sur le sol dépourvu de poussière. C’est réellement un Maniaque ! Bien sûr je reste devant la porte. Le garage est plus vaste que je l’imaginais, il est propre à l’excès et je n‘aime pas cela.
Il me montre une sorte de meule, et des tonneaux dans lesquels il dit réaliser son vin. 500 litres par an, ajoute t’il fièrement. Il me désigne ensuite une trappe horizontale qui mène à sa cave, qui parait-il est toute aussi grande que le garage.
- Viens approche !
Je viens de prendre mon stylo à pleine main, qu’il ose un geste déplacé et il en est fait de lui ! J’avance à tâtons et il me tend une bouteille en verre remplie du liquide grenat.

Allons-y dit il alors! Il referme la porte. Je le suis vers l’immeuble distant de quelques trente mètres.
Devant l’immeuble, deux chat noirs se prélassent dans une marre presque asséchée de lumière. C’est un signe de mauvais augure!
Nous arrivons au quatrième palier, tout va se jouer maintenant et j’ai presque envie de lui percer la gorge d’un coup de mon stylo; mais la porte s’ouvre et je n’ai même pas le temps pour une pensée qu’une femme rondouillarde au visage jovial me prend par la main et me parlant d’un débit précipité, m’emmène dans sa cuisine.
J’y rencontre sa sœur et sa jolie nièce Carolina, très en charme dans sa robe noire qui offre à la vue un petit ventre sensuel, qu’il aurait été mesquin de cacher.

Durant cette soirée, je ne sais pas si j’ai mangé une basse court entière arrosée d’une cave de vin mais je crois avoir honorer en une seule fois toute l’hospitalité arménienne et ouzbek pour une décennie.

Ruben m’a donc bien tué, il a tué mon appétit et mon angoisse. La France doit beaucoup à l’Arménie, souvenez vous en !

mercredi 17 septembre 2008

Boukhara en chair et en hôtes

























Entre Ciel et Sable, un mirage, une ville

À Khiva le ciel a scellé un pacte avec le sable.

Ce dernier était chargé de revêtir les murs tandis que le ciel s’ingéniait à bleuter les dômes et façonnait les minarets.

Des trois joyaux de la route de la soie, Khiva est la plus décriée. On la dit volontiers « touristique » en grimaçant chaque syllabe avec dédain.

On dit que si elle eût une âme, les perses et les soviétiques la lui ont ravi !
Est-ce à dire qu’elle n’est désormais qu’un corps? Mais alors quel manque de poésie que d’oublier l’âme du corps !
Car Khiva, moi je l’ai étreint, et son corps je l’ai senti de tout son poids, de tous ses plis et de tous ses parfums.

Qui d’entre les contempteurs est sorti de son hôtel, la nuit, pour marcher en solitude dans ses rues; au moment où la lune était pleine, pâle, et qu’elle gantait d’ombre la ville du sol au plus haut minaret ?
Et dans la chaleur sereine de l’après midi, lorsque le soleil déclinait et que les enfants quittaient la classe, a-t-il pris le temps d’écouter leur babil et de les faire rire en inventant un jeu?
On rit de peu quand on est enfant, il suffit de jongler avec des cailloux pour habiller leur bouche d’un sourire. Et c’est à cet instant, sur le bords de leur lèvres et dans l’échos de leur rire, que l’on goûte pleinement à l’âme de la ville.

Je ne veux pas l’accabler trop longtemps mon méprisant imaginaire mais si Khiva n’a pas d’âme, je damne la mienne aux djinns et me fais Faust. Car voyez vous, il est d’une ville comme il est d’une femme, et si Khiva n’est pas belle, elle est toute dans son charme et c’est là que réside l’âme du corps!

Alors voyageur, presse toi si tel est ton désir mais n’attend pas de Khiva qu’elle épouse ta cadence car elle n‘aime que la lenteur et les méditants.

Khiva Délire





Khiva en Vie























formation de la tortue















Khiva en murs